Mon ténébreux et indomptable héros - le filme "Immortel", d’Enki Bilal

Vraiment! j’ai toujours été très attirée par le monde de la BD. Gamine, même étant socialement sauvage, il y avait néanmoins quelques p'tits gars qui me couraient, intéressés par mes charmes et par ma collection de BD!  Les amis de mes frères et d'autres gars qui habitaient loin de mon quartier et même des complets inconnus, venaient souvent sonner chez moi pour échanger les héros Marvell.  J'étais la seule fille dans le quartier qui collectionnait les BD des héros Marvell, peut-être même que j'étais la seule de toute la ville et parai-il, ma collection était vraiment l'une des meilleurs - pour des jeunes fauchés qui nous étions-. Nous partageons le même intérêt, c’était magique -passionnant même-  ils étaient mes compagnons de poésie, puisque pour moi c'était la poésie que je voyait, et au contraire de ce que la plupart de parents croyaient à l’époque, ma mère surtout, j’ai beaucoup appris par le biais de ces histoires. C’étaient les seules occasions où je pouvais laisser mon imagination libre et sans entraves, même sachant qu’ils n’existaient pas vraiment; mais c’était un défi excitant pouvoir percer leurs univers irréels et je lisais en cachette de ma mère, qui détestait nous voir lire des BD, mais je lisais quand-même, et avec frénésie et émerveillement.

J’aimais aussi les contes de Grimm, de ma sœur, mas j’avais lu le livre au complet, lu et relu un nombre incalculable de fois. Même la bible je la lisais avec une soif, un abandon digne de Sainte Thérèse, mais par le seul plaisir de lire des histoires. Et je crois bien que j’ai lu l’ancien testament en intégral à neuf ans! Si quelqu’un m’aurait demandé à l'époque ce que contenait la bible, j’aurais pu décrire en presque minutie les générations des rois d’Israël, les guerres, les péchés et les amantes du roi David, la folie d’Absalon, la révolte de Tamar, la beauté et l’intelligence de la reine de Sabah, la sagesse de Salomon et un monde sans fin des naissances, vies, vices, morts, destructions, clameurs... et l’amour et la vengeance de Dieu. N’allez surtout pas croire que j’étais bien religieuse, mais non! Je lisais la bible avec le même plaisir que je lisais en cachette les ouvrages d’éducation sexuel très techniques pour les nouveaux mariés. Et je les lisais que pour lire des histoires!

En tout cas, j’étais accro des héros Marvell surtout parce que c'était le seul genre de lecture dont je pourrais me payer un exemplaire avec l’argent des menus travaux que j’effectuais à la maison ou que je recevais comme cadeaux lors des visites à ma grand-mère; je goûtais la coca-cola, le crème-glacée, le chocolat et d'autres sucreries que quelques fois par année juste pour pouvoir économiser cet argent, jalousement, et m’acheter mes héros préférés. Dans ce-temps-là, les histoires n’arrivaient que de deux en deux semaines ou plus, et qui n’avait pas un père riche devrait garder pour lui une seule histoire et échanger les autres après lecture (c'était l'époque de la dictature, de la répression sauvage, de la peur derrière les murs et susurres, et l'argent était difficile, les travaux rares et l'orgueil aussi). Cependant, on gardait toujours avec nous les histoires les plus aimées.

Adolescente, j’ai été éblouie lorsque mon bon vieux Batman est devenu un héros tourmenté et existentialiste, entouré de cette chère ombre ténébreuse qui nous séduisait à tous. C’était vraiment trop pour mon pauvre cœur déjà abîmé par la vie et les supplices de la révolte. Je suis tombé amoureuse de ce héros qui n’était plus comme les autres! Il est devenu mon ange noir, l’oiseau que je portais sur mes épaules souffrantes et avec lui j’ai traversé l’autre coté de l’océan pour pouvoir arriver à l’île de mes rêves. Il est devenu mon compagnon de voyage.

Tout cela pour dire que j’ai adoré la poésie du filme "Immortel", d’Enki Bilal. Si vous avez compris mon amour pour ce monde fantastique et si vous le possédez également, allez voir le filme.


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